
Vous l'aurez compris en lisant ce court résumé, c'est un pamphlet absolument pas dissimulé que Diderot nous livre là, bien au contraire. L'auteur, chef de file du mouvement des Lumières avec Voltaire, Rousseau, d'Alembert, n'hésite pas à prendre la plume pour dénoncer sans détour la société de son temps et surtout, les couvents, qu'il considère d'un très mauvais oeil. Récit très ancré dans son siècle, dans une époque de bouleversements et de progrès de la pensée, La Religieuse est un texte efficace et percutant. En forme de long monologue, le texte donne la parole à la jeune Suzanne, qui écrit ses mémoires pour montrer ce qu'elle a pu vivre et que ce que l'on raconte sur les couvents n'est pas faux. Sont ainsi dépeints le fanatisme de certaines soeurs, la folie des unes, parfois celles qui n'ont pas librement prononcé leurs voeux, et la perversité des autres, comme la mère supérieure d'Arpajon, qui entretient des liaisons quasi-charnelles avec ses soeurs et parvient à manipuler leur esprit avec habileté, pour les persuader que leurs relations ne sont pas coupables.
Derrière le récit de Suzanne, on sent bien la dénonciation de l'homme des Lumières, l'auteur de l'Encyclopédie, l'homme aux idées révolutionnaires -révolutionnaires dans le sens de progressives- qui sont d'ailleurs en passe de modifier toute notre société et de nous livrer un nouvel idéal de vie, en cette seconde moitié du XVIIIème siècle. Nous ne sommes pas loin de la Révolution et de ses bouleversements, nous ne sommes pas loin de l'abolition des ordres religieux, qui sera effective en 1790 et fera fermer aux couvents et aux abbayes leurs portes, ouvertes parfois depuis des siècles, depuis le Moyen Âge, pour certaines...
Pour autant, La Religieuse n'est pas un brûlot contre l'Eglise. Diderot fait bien la distinction entre l'institution conventuelle et l'Eglise. Ce sont les couvents ici qui sont dans sa ligne de mire et surtout, la prononciation de voeux contre le gré du postulant. On sent bien l'interrogation de l'auteur devant l'habitude de plus en plus spontanée qu'ont les familles de placer leurs rejetons au couvent, sans se soucier forcément de leurs motivations les plus intimes. A-t-on besoin de se cloîtrer pour rendre grâce à Dieu et croire en Lui ? Voilà la question fondamentale que l'on retrouve en trame du roman. Se garantit-on sa place en paradis parce que l'on décide de se détourner de la société des hommes pour entrer en religion ? Est-on meilleur chrétien parce qu'on prononce des voeux contraignants ? La croyance n'est pas dénoncé ici comme une ineptie ou quoi que ce soit d'autre. Nous ne sommes pas encore au XIXème siècle, où la France va connaître une période de déchristianisation massive. Diderot ne met en aucun cas en accusation les personnes qui croient, honorent les fêtes du calendrier et se rendent à la messe le dimanche. Au contraire. Il dénonce l'institution conventuelle qui s'essouffle et donne une image d'elle chaque jour plus ternie.
En ce qui concerne le style, bien évidemment, rien à dire. Le livre est facile d'accès, écrit en français particulièrement accessible. Nous sommes face à un récit bien pensé et bien écrit, le style est vraiment un plaisir pour les yeux et si vous aimez les classiques, vous aimerez sûrement ce roman, sans aucun doute. Personnellement, je n'avais jamais tenté de lire un livre de Diderot : le côté philosophique de son oeuvre me rebutait un peu étant donné que la philo, ce n'est pas mon truc. Eh bien, malgré quelques petits passages où Diderot fait référence à l'état de nature etc..., ce livre reste un roman tout à fait intéressant et cet aspect philosophique ne gêne en rien. Je vous le conseille vraiment, si vous souhaitez découvrir Diderot autrement que comme un philosophe, optez pour La Religieuse.
lamalleauxlivres, Posté le dimanche 25 août 2013 06:13
Tu donnes envie de le lire, en tout cas ! :)