
Moine et libertin, artiste intransigeant et manipulateur sans scrupules, futur maître de Botticelli, ses sublimes madones bouleversent son époque. Elles lui sont pourtant très intimement inspirées par les filles des maisons de plaisir de Florence qui en ont fait leur petit prince caché.
Bravant tous les interdits et jusqu'à l'autorité suprême du Pape, il commet par amour l'ultime provocation. Le scandale le pousse à l'exil et le renvoie au secret sanglant enfoui au c½ur de son enfance.
Peintre voyou, ange ivre, Fra Filippo Lippi invente un rapport nouveau entre l'art et le monde de l'argent et, le premier, fait passer les peintres du statut d'artisans estimés à celui d'artistes reconnus.
Nous sommes projetés, nous, lecteurs, au XVème siècle. L'histoire débute en 1414, à Florence. Ce n'est pas encore la Renaissance, loin s'en faut, mais le Quattrocento italien a ce charme, cette érudition, lettrée et érudite, que tout le reste de l'Europe n'a pas encore réussi à acquérir. Replaçons nous dans le contexte. Au même moment, la papauté se déchire à cause du Grand Schisme d'Occident et les royaumes de France et d'Angleterre sont ensanglantés par une lutte intestine qui dure depuis près de Cent Ans (on est à un an d'Azincourt). On a donc bien d'autres chats à fouetter que l'art, les lettres et leur révolution ! On est encore loin, partout ailleurs en Europe, de s'imaginer que l'humanisme naissant en Italie, va un jour imprégner les consciences de tous.
Nous sommes donc dans cette péninsule italienne morcelée en cités-états, petits comtés et duchés indépendants, mais qui a su, au cours des siècles, faire naître tant de prodiges et de génies. En 1414, à Florence, la ville de toutes les merveilles, ce sont déjà les Médicis qui gouvernent. Cosme de Médicis, laid, mais prodigieusement fin et intelligent, a vingt-cinq ans. Dans les rues de sa ville, où se cotoient le peuple aisé, les nobles, pululle aussi toute une foule de petites gens, indigents, mendiants, enfants des rues, laissés pour compte, finalement, Cosme va rencontrer un génie du dessin, un petit garçon de sept ou huit ans aux boucles blondes et aux pieds couverts de corne qui dessine magnifiquement bien et surtout, intuitivement. Cosme va décider de le prendre sous son aile et de le former : Filippo Lippi est né. Formé par Fra Angelico, il commence à apprendre l'art de peindre et non plus de dessiner à la va-vite, avec un charbon, dans la poussière des rues florentines.
Avec Paolo Uccello, qui révolutionne l'utilisation de la peinture, Masaccio, qui insère de la réalité et donc, de la laideur, aux épisodes bibliques au grand scandale des anciens, Brunelleschi, architecte de génie qui fait entrer sa profession dans le cercle fermé des artistes, Lippi va repenser son art, sa peinture, au point d'élever le peintre d'artisan à véritable artiste, qui n'a de compte à rendre à personne hormis à l'inspiration quasi-divine qui lui est accordée. Enfant des rues, cherchant toute sa vie son réconfort auprès des prostituées du contado, qu'il considère comme des petites femmes ou des petites mères en puissance, puisant aussi son inspiration auprès d'elle pour peindre ses plus belles Madone, Lippi reste un homme...furieusement humain. Il n'est pas un dieu, il n'a pas la prétention de s'élever au-dessus des personnages qu'il peint à fresque et sur des tableaux qu'il revend ensuite aux plus grands de Florence. Non...furieusement respectueux des femmes et des petites prostituées qui ont su l'aimer, lui, l'enfant perdu, quand il en avait besoin, il porte la Femme et donc, la Sainte Vierge, aux nues.
Et pourtant, il prononce ses voeux du bout des lèvres et ne sera jamais un moine à proprement parler. A la cinquantaine, il tombe amoureux de son modèle, une petite nonne carmélite de dix-huit ans, Lucrezia Butti, qui sera la mère de Filippino, le deuxième peintre génial de la lignée, et devient défroqué pour elle et seulement pour elle, sa blondeur et ses traits qui lui rappellent tant cette Madone qu'il vénère par-dessus tout.
Lippi est un homme comme les autres, avec sa force, son génie, son talent, ses peurs ancestrales, ses blessures enfouies...Sophie Chauveau ne nous livre pas une hagiographie ici, bien au contraire. Elle a beaucoup de chaleur pour son personnage mais il le voit tel qu'il est ou plutôt, tel qu'il a pu être. La vie de tous ces artistes, qui révolutionnent l'art, est plutôt méconnue. L'auteure parvient à faire revivre celui-ci sous sa plume...
Justement, parlons-en, de cette plume. Très belle, elle donne naissance à un style pur et puissant, intuitif par moment. J'ai eu un peu mal au début, j'ai trouvé certains passages confus...j'avais même parfois du mal à distinguer la césure entre dialogues et partie narrative mais j'ai fini par m'habituer, tout doucement, au fil des pages, à ce style unique mais franchement plaisant à lire. Certains lecteurs reprochent au roman d'être un peu lent. Personnellement, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde. Alors, oui, peut-être, le roman est trop centré sur le personnage du peintre et pas assez sur son oeuvre...mais c'est de sa vie dont on est ignorant, pas de son oeuvre, qui nous est parvenue. Peut-être pas complètement, mais on possède encore des traces en assez grand nombre pour se rendre compte du génie qui l'habitait complètement et a fait de Lippi l'un des meilleurs peintres de cette fin du Moyen Âge, précurseur de tous ces artistes géniaux du début de la Renaissance : le Pinturrichio, Vinci, Botticcelli, Michel-Ange et j'en passe...
Ce roman m'a véritablement donné envie de me pencher sur la suite de la trilogie de Sophie Chauveau : il me reste donc à découvrir Le Rêve de Botticelli (qui fut élève de Lippi) et L'Obsession Vinci. Et je suis particulièrement enthousiaste à l'idée de les lire après avoir passé un si beau moment, plein de poésie et de peinture (le roman a sa violence aussi, bien sûr, mais ça ne parvient pas à occulter la part de merveilleux vraiment tangible) avec La Passion Lippi.

passiondu28, Posté le dimanche 24 mars 2013 07:29
Comme je disais celui-ci est mon préféré et ça tient surtout au personnage même de Lippi que nous fais découvrir l'auteure. Je l'ai trouvé attachant, humain et drôle parfois. Et puis l'époque aussi m'a plu, quand ce n'est encore que les balbutiements de la renaissance.